Histoires d´Algerie. Textes choisis par un ami kabyle.

Publié le par Anne Marie Schaller ML

De Batna à Marseille, un voyage sans retour

Le 18 juin 1962, trois femmes d’une même famille quittent Batna pour rejoindre l’Hérault.

Au restaurant du Sidi Ferruch , on lui a servi des petits pois. Mais Paule Tedeschi n’a pas faim. Elle fixe la mer qui sans cesse apparaît et disparaît derrière le hublot. Avec Marie-Jeanne, sa mère et Frédérique, sa fille de quatre ans, elles quittent l’Algérie. Tôt ce 18 juin 1962, elles sont parties de Batna pour rejoindre le port de Philippeville. Deux cents kilomètres en voiture, sur des routes où les mines et les barrages sont à craindre. Avec elles, le chien, les deux canaris dans une cage et la tortue casée dans une boîte à chaussures. « Des incivilités de plus en plus fréquentes » , explique Paule, les ont contraintes à ce départ précipité. Maurice, son mari, les accompagne jusqu’au port. Nées à Batna, Marie-Jeanne, Paule et Frédérique n’ont jamais mis les pieds en Métropole et n’y connaissent personne : « On était déboussolées. On partait pour sauver nos vies ».

Quelques mois auparavant, la famille Tedeschi a acheté un appartement à Castelnau-le-Lez (Hérault) trouvé « grâce aux petites annonces de La Dépèche d’Alger. On l’a pris comme on le fait avec une assurance-auto, en espérant n’avoir jamais à s’en servir ». Ce trois-pièces-cuisine est maintenant leur seul point de chute de l’autre côté de la Méditerranée. Sur le port de Philippeville, il règne une chaleur torride et les quais sont noirs de monde. « Mon mari a dû prendre la petite sur ses épaules afin qu’elle puisse respirer » . Les gens se bousculent pour retirer leurs places, des personnes de la Croix-Rouge proposent leur aide. Le moment le plus difficile est l’embarquement sur le Sidi Ferruch : « C’était les grandes eaux de Versailles » , se souviennent Marie-Jeanne et Paule. A bord, les voyageurs s’agglutinent au bastingage pour regarder les quais s’éloigner. Les cabines sont toutes louées. Marie-Jeanne, Paule, Frédérique s’installent avec leurs animaux sur des chaises longues : « Nous avons passé toute la traversée sur le pont. Mais je n’en ai pas de mauvais souvenir, à part un peu de roulis et ma fille qui, découvrant la mer, voulait toujours aller marcher sur les eaux » , raconte Paule. Arrivées à Marseille, elles hèlent un taxi qui refuse de les prendre : « Il nous a dit qu’on n’aurait jamais dû venir en France ». Elles réussissent à rejoindre Montpellier, y cherchent un hôtel pour passer la nuit, « pas facile à trouver avec les animaux » , et le lendemain s’installent dans leurs trois pièces-cuisine de Castelnau-le-Lez. Des matelas par terre, un camping-gaz, une casserole et des fourchettes. « On a eu de la chance, les quelques meubles que nous avions mis dans un container sont arrivés. Ils n’ont pas été perdus, ni trempés dans le port de Marseille comme tant d’autres » . Une voisine, les voyant sans table, ni chaises, leur prête du mobilier de camping. Maurice les a rejoint quelques jours plus tard. Il est arrivé d’Alger où il avait pris l’avion : « Dans la ville, les gens se marchaient dessus, c’était la panique. A l’aéroport, avant d’abandonner leur voiture, beaucoup y mettaient le feu ».

A Castelnau-le-Lez, les premiers temps sont durs. « Un rien nous démoralisaient. Nous voulions repartir » , se souviennent Marie-Jeanne et Paule. Le soir, elles discutent, se rappellent Batna et ses beaux paysages. Et surtout Saïd, un chaoui qui travaillait depuis des années à leur service. Quand il avait fallu le quitter, tout le monde s’était mis à pleurer. « Je me souviens de lui, avec son cheich, dit Frédérique. Je n’avais que quatre ans, mais j’ai compris qu’en lui disant "au revoir", je vivais un moment important ».

Anne-Marie SCHALLER (ML)

 

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