Lettre ouverte aux dirigeants algeriens...

Publié le par Ahmed Benchabane

Rendez-nous l’Algérie, on l’a payée très cher !

J’adresse cette lettre, à vous qui êtes « grands » pour reprendre l’immortel Boris Vian. Au commencement, je dois dire, sans présumer bêtement que vous le savez déjà, que je n’éprouve aucune haine à votre égard, ni envers personne de quelque obédience qu’il soit. Je sais que vous serez surpris, messieurs, par cette disposition typiquement algérienne à pardonner aux bourreaux. Oui, Messieurs, même si je ressens, comme tous mes concitoyens, les morsures de l’injustice, je ne vous abhorre guère, parce que je crois, tout naturellement, que personne ne porte dans ses gênes l’arbitraire et la haine de son peuple.

Nous vous pardonnerons, mais partez, rentrez chez vous et laissez l’herbe pousser sur cette terre que vous avez asséchée. Partez, à quoi bon continuer à faire saigner ce peuple qui a connu tant d’épreuves et de malheurs ? Messieurs, seuls les grands actes font de grands hommes et, à cet égard, votre départ sera votre plus beau chef-d’oeuvre. Partez, c’est le meilleur service que vous puissiez rendre à cette Algérie qui ne mérite pas d’être sacrifiée à l’ingratitude puante de l’avilissement et de l’indignité. Laissez votre peuple choisir, vivre et goûter enfin la douceur de la Liberté. Laissez-nous instaurer un gouvernement de salut public pour apurer le passif de vos terreurs. Faites un effort et laissez le peuple bannir l’humiliation et l’arbitraire. Laissez-le reconquérir sa dignité, même si le mot dignité ne signifie rien pour vous. Assumez, pour une fois dans votre vie, la responsabilité morale du désastre national que vous avez provoqué et dont vous êtes coupables. Sachez messieurs que le peuple qui a fait de vous des seigneurs sur des trônes dorés, n’est pas une tribu ennemie. Il n’est ni un butin de guerre pour le mépriser, ni un fonds de commerce pour le négocier. Partez messieurs. Emportez vos sacs de devises, vos servantes, vos maîtresses, vos impostures, vos matraques et vos machines à truquer les élections. Partez, la démocratie et le progrès ne peuvent pas s’accommoder d ´une pègre de votre espèce tout comme la Liberté ne peut coexister avec la terreur et les lois d’exception. Partez messieurs, vous êtes la négation absolue de tout ce qui symbolise la noblesse et la perfection. Partez, pour que les Algériens puissent enfin respirer l’air frais de leur pays et tirer profit des richesses de leur sol.

Ne craignez rien, messieurs, nous vous pardonnerons. Nous vous pardonnerons même si vous avez opprimé notre peuple, affamé des millions de personnes, perverti les mœurs politiques de l‘État, instauré un climat de terreur, trituré notre Histoire, bombardé nos villages, assassiné nos héros, emprisonné nos opposants, parasité nos institutions, abruti nos enfants, martyrisé et exilé notre jeunesse, bradé nos richesses, vidé nos banques, pollué nos valeurs et nos repères. Nous vous pardonnerons même si nous savons que les caisses de l’État se vidaient en même temps que vos comptes en devises grossissaient dans les banques suisses. Partez et nous jurons, sur la tombe de Bachir Hadj Ali, que les corrompus ne seront pas dépossédés des bénéfices de leur rapine et que les tortionnaires ne seront point torturés.

Connaissez-vous Mahatma Gandhi ? Non, vous ne savez rien, parce que vous n’avez pas usé, comme nous autres algériens, vos culottes sur les bancs de l’école. C’est ce monument universel qui disait qu’il faut laisser une ouverture pour que l’ennemi puisse s’en aller. Nous vous laissons donc cette lucarne pour déguerpir comme un démon qui quitte le corps meurtri d’un individu possédé.

Non, je ne vous demande pas de lire Gandhi, à l’impossible nul n’est tenu. D’ailleurs, comment oserais-je demander aux généraux de lire quand je sais que le meilleur d’entre eux ne fut guère que sergent ou adjudant dans l’armée française ? Comment leur demander de lire Voltaire quand je sais, et j’en suis certain que leur niveau intellectuel est au-dessous de leurs bottes ? Comment demander au « ministre d’État » Bouguerra Soltani de lire Tocqueville ou Montesquieu quand je sais qu’il a pratiqué la sorcellerie pendant plus de quinze ans avant de venir à la politique comme on va à la chasse ? Mais dites-moi, comment demander au chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, d’expliquer la dialectique hégélienne quand tout le monde sait qu’il n’était qu’un modeste enseignant de langue arabe à Tiaret ? Allons-y, dites-moi comment aurais-je le courage de demander à Amar Tou, ministre de la Santé publique de parler des derniers progrès réalisés dans le domaine médical alors qu’il n’était qu’un obscur responsable dans une semoulerie ? Dites-moi encore comment puis-je demander à Boudjemâa Hichour, ministre des Postes et des Technologies de l’Information et de la Communication d’expliquer les dernières inventions de Microsoft quand je sais que, dans un passé très récent, il n’était qu’un inconnu pigiste dans un journal sportif basé à l’est du pays ? Comment oserais-je demander à Amar Sâadani, président de l’Assemblée nationale, d’expliquer ou d’appliquer les principes élémentaires de la législation mise au point par Jean Jacques Rousseau quand je sais que ce magnat originaire d’El-Oued n’a même pas terminé son certificat d’études ? Oui, Monsieur Sâadani, nous savons que vous vous êtes inscrit, il y a trois ans, à la faculté d’Alger pour broder une licence en sciences politiques et que l’un de vos professeurs — M. Berkouk que je salue au passage — vous a « gratifié » d’un grand zéro sur votre copie d’examen (Relations internationales).

Tous les dirigeants du monde entier font des études afin de suivre une carrière politique, mais en Algérie, c’est l’inverse qui se produit. On devient, d’abord haut responsable de l’État puis on pense faire des études ! N’est-ce pas une honte messieurs les dirigeants ? Non messieurs, je n’ose pas vous demander de lire quoi que ce soit, puisque le seul domaine dans lequel vous excellez vraiment est celui du mensonge et du terrorisme d’État. En rappelant ce que vous êtes, je ne veux aucunement me moquer de votre inculture. Mon éducation algérienne ne me permet guère de rire de la faiblesse de quelqu’un fut-il mon bourreau, parce que, je crois tout simplement, que l’analphabétisme n’est pas un défaut. Surtout quand l’inculte ne ressent pas cette nécessité superflue d’agrémenter son curriculum vitae par des titres clés en main et des diplômes fictifs.

Non, messieurs, vous n’êtes pas le meilleur de ce qu’a enfanté l’Algérie. Vous n’êtes qu’un conglomérat d’illettrés et d’arrivistes. À bien des égards, vous symbolisez l’abysse le plus profond qui puisse exister. Allez voir, en France, au Canada, en grande Bretagne, en Australie même, tous ces jeunes de haute stature que votre concussion a jetés sur les sentiers tortueux de l’exil. Non, messieurs les dirigeants, pour ces bourgeons dignes et compétents, Paris, Ottawa, Sidney, Washington et Londres ne sont ni des lieux de villégiature ni des capitales financières comme vous avez fait de Genève. Mais allez voir cette jeunesse au regard pénétrant que vous avez écarté, disqualifié et anéanti. C’est votre trahison qui les a déportés loin de leur patrie laissant derrière eux des pères accablés, des mères éplorées et un pays sanguinolent. Cependant même loin de leur pays, l’Algérie demeure leur unique adresse malgré vos bassesses.

Mais voyez ce peuple que votre veulerie a réduit en esclavage, maintenu indéfiniment dans le sous-développement et la misère. Regardez comme il trime pour reconstruire, pierre par pierre, ce que vous avez détruit pendant plus de 40 ans de pillage et de rapine. Contemplez votre « chef-d’oeuvre », chers messieurs. Un pays ravagé par la barbarie, déchiré par l‘arbitraire, gangrené par la corruption, vidé de ses forces vives, rongé par la culture de l’impunité et réduit au peloton des nations les plus infréquentables du globe. Le trafic d’influence, le détournement des deniers publics, la fuite des capitaux meublent le quotidien de ce pays que votre génie maléfique a poussé dans le précipice. Bon sang ! Regardez, si vous êtes en mesure de percevoir l’ampleur du désastre. Hélas ! « ne ressent la brûlure que celui qui met sa main dans le brasier » dit un proverbe de chez nous.

Interrogez les jeunes manifestants du 5 octobre 1988. Ils sont toujours si jeunes, si frêles, malgré les tatouages indélébiles qui entaillent leurs corps desséchés par la torture et les traitements dégradants. Ils ont toujours la gorge creusée par la douleur et le coeur plein d’animosité à l’égard de Yazid Zerhouni, de Ali Tounsi, de Mohamed Betchine et de tous ceux qui se sont retrouvés au sommet de la pyramide en grimpant par dessus les cadavres. Qu’avez-vous, messieurs, gagné en plantant vos dents pointues de vampires dans la chaire vive des Algériens ? Dans vingt ans, peut être dans dix, vous ne serez qu’un amas d’ossements disposés en rangées à El-Alia. Mais en attendant la délivrance, nous devons supporter encore vos gueules exécrables.

Je suis curieux de voir, messieurs, si vous frissonnez en souvenir des cris aigus qui jaillissaient de la gorge de vos suppliciés. Vous conviendrez avec moi, qu’un dirigeant devrait avoir d’autres préoccupations autrement moins ignobles que les interminables séances de torture qu’on organise dans vos centres de détentions secrets. Regardez du côté de la Kabylie, les cimetières regorgeant de victimes de l’État criminel que vous incarnez. Souvenez-vous des 126 jeunes fauchés à la fleur de l’âge par des balles explosives en avril 2001. Rappelez-vous les 400 morts de 1963 et la répression du 20 avril 1980. Arrivez-vous à dormir, messieurs, après tant de crimes et de monstruosités ?

Faites un tour du côté de Bentalha, de Raîs et ou d’Ouled El-Alaïg. Allez-y, le sang n’a pas encore séché sur les pavés. Vous y trouverez les stigmates des gorges tranchées, des bébés brûlés et des femmes éventrées. Terrorisme dites-vous ? Je vous concède volontiers ce constat, mais c’est oublier que l’État est garant de la sécurité des biens et des personnes. Oui, vous êtes coupables messieurs. Regardez du côté de Galilée, à quelques encablures de la Présidence de la République et vous verrez des mères de disparus étranglées par le chagrin. Chaque mercredi, qu’il pleuve ou qu’il vente, elles sont là, en quête de la vérité sur leurs fils kidnappés par vos barbouzes. Elles sont affligées et accablées par plus de dix ans d’attente sans que vous daigniez leur montrer le charnier dans lequel vous avez enseveli les corps de leurs enfants. Elles ne demandent rien d’autre que leur droit de faire le deuil de leur fils dans le recueillement et la dignité. Terroristes dites-vous ? Sachez, messieurs les dirigeants, que même les terroristes, aussi sanguinaires soient-ils, ont droit à un certificat de décès et à deux mètres carrés de terre dans un cimetière.

Partez donc, nous vous pardonnerons vos lâchetés et nous oublierons vos imperfections. Nous pardonnerons à tous ceux qui, poussés par leur stupidité, nous ont persécutés et ruinés. Partez et nous pardonnerons à tous ceux qui, mus par leur cupidité, nous ont appauvris. Partez et vous ne serez ni haïs ni lapidés. Partez et je n’irai pas, comme Boris Vian, cracher sur vos tombes. Le peuple Algérien, désabusé, n’attend rien de vous ni quoi que se soit d’un régime équipé pour le mensonge, la corruption, le mépris, la répression et les liquidations physiques. Partez et, dans une année ou deux, vous ne serez qu’un vague souvenir gravé dans la mémoire blessée des Algériens. Partez pour qu’on puisse enfin instaurer une culture de responsabilité. Partez et on palliera votre sous-développement politique en organisant, pour une fois dans l‘histoire de l‘Algérie, des élections libres et transparentes. Partez pour qu’on puisse mettre un terme aux bricolages historiques, aux mensonges, au négationnisme et aux pratiques abjectes charriées par quarante ans de régime liberticide. Partez et nous pardonnerons à tous sauf à ceux qui ont trahi l’Algérie pour plaire à leurs maîtres de l’autre côté de la Méditerranée. L’Histoire donnera à chacun ce qu’il méritera.

Voyez le sort de Saddam Hussein, avili et humilié. Regardez ce qu’est devenue son image de héros brodée durant des années de règne sans partage. Observez, bon sang, le côté honteux des dictateurs. Méditez l’aventure criminelle du général Augusto Pinochet. Souvenez-vous du sanguinaire Milosevic, du maréchal Mobutu, du tyran Bokassa, du seigneur Gnassingbé Eyadema.

Il ne restera dans la rivière que ses galets.

Ahmed Benchabane, Montréal

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