Histoire et littérature au service d'une réconciliation...

Publié le par Emile Martinez

      ...entre Algériens et Français, car il me semble que les deux Etats auraient pu parvenir à la signature d’un traité d’amitié tel que le souhaitait Jacques Chirac sans pour autant changer les relations entre les peuples tant l’Histoire et  la mémoire qu’en ont les hommes peuvent être éloignées l’une de l’autre. Faudra-t-il donc attendre la disparition des acteurs et des témoins de la tragédie qui, des deux côtés de la Méditerranée, pèsent lourdement sur le débat, pour parvenir à ces relations sereines que la raison appelle entre deux nations si proches l’une de l’autre ? Je ne le crois pas pas.

       La  connaissance historique est indispensable à la réconciliation des peuples comme cela a été montré avec l’Allemagne mais elle ne saurait suffire à extirper  de leur mémoire collective des sentiments qu’une histoire douloureuse y a inscrits. Il suffit, pour s’en convaincre, de connaître le rapport qu’établissent aujourd’hui certains historiens entre les croisades et la vision que se font certains musulmans de l’Europe ou de se demander ce que ressentent les Européens lorsqu’ils apprennent, qu’au nom de l’Islam et de l’Histoire, des fanatiques musulmans  se donnent pour objectif de reconquérir l’Andalousie. 

       S’ajoute à ces considérations le fait que l’Histoire, dans sa froide reconstitution des évènements, ne tranche pas, ne dit ni le bien ni le mal, ni le juste ni l’injuste. Pour elle, occupations et conquêtes, mort et naissance de civilisations, d’empires, d’états, de peuples ou de nations, ne sont après tout que ce que la marée est à l’océan, une forme de respiration profonde du monde. Et, en effet, qu’est-ce  que la France sinon le résultat de mutations successives provoquées par les guerres, les conquêtes, les grandes migrations ? Que seraient  devenues les Amériques si elles n’avaient pas été conquises par les Européens et, l’Afrique du Nord, si elle ne l’avait pas été par les Arabes. Que serait devenue l’Espagne si ces derniers y avaient consolidé leurs conquêtes ? L’Histoire qui rend compte des faits ne peut répondre à ces questions. Les historiens peuvent seulement constater que le monde dans lequel nous vivons est le résultat d’une évolution  rarement pacifique et indolore, mettre leur science au service de la vérité des faits qu’ils relatent et, comme ils l’ont fait, refuser d’entériner la tentation du pouvoir politique d’instituer  une histoire officielle, qu’il s’agisse de celle de l’esclavage ou de la colonisation.
 

       C’est pourquoi, dans l’entreprise visant à la réconciliation de nos deux peuples, la démarche de l’écrivain qui construit des personnages et des parcours singuliers auxquels chacun peut s’identifier, explore des sentiments et donne de la chair à l’histoire, me paraît complémentaire de celle de l’historien qui reconstitue une fresque collective. On ne peut que souhaiter voir de nombreux talents sur les deux rives de la Méditerranée faire de notre histoire commune un sujet de romans surtout quand l’on connaît la richesse de son hagiographie.

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